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« L’État dépense trop, il faut baisser la dépense publique ! ». Voilà un des slogans les plus fréquents des néolibéraux. Pourtant, jusqu’à l’avènement du macronisme, les dépenses de l’État n’ont guère augmenté, ce sont au contraire les recettes qui se sont effondrées. Les dépenses au bénéfice des entreprises et des plus riches ont en revanche fortement augmenté, avec pour conséquence la chute des dépenses de fonctionnement des services publics. Au final, cette mauvaise gestion de l'État a entraîné une multiplication des déficits, et donc de l'endettement. Et la situation s’est nettement aggravée depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron. La situation est intenable et l’Union européenne s’en mêle : l’austérité est devant nous. On vous explique tout !

Graphe Économie
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publié le 10/07/2025 Par Olivier Berruyer
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1- La clochardisation mathématique de nos services publics
2- Les dépenses au plus haut et les recettes au plus bas
3- Les « 3 % » : une invention de la propagande française
4- Apprenez à élaborer des budgets calamiteux
5- Qui veut tuer son État l'accuse d'avoir la rage
6- La France parmi les cancres budgétaires d'Europe
Ce qu'il faut retenir


Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.

Nous avons analysé dans de précédents articles l’évolution de l’ensemble des dépenses publiques en France ainsi que l’évolution des prélèvements obligatoires, pour déconstruire la propagande néolibérale habituelle selon laquelle il y aurait une anomalie française dans la gestion de son État. En réalité, la différence avec les pays voisins vient surtout du fait que la France a choisi de mutualiser via la Sécurité sociale des dépenses qui existent dans d’autres pays, mais qui relèvent là-bas des assurances privées. Et comme la population vieillit de plus en plus, ces dépenses publiques ici, privées ailleurs, augmentent sans cesse.

Dépenses des administrations publiques en France, 1960-2024Dépenses des administrations publiques en France, 1960-2024

Aujourd'hui, nous allons nous intéresser plus spécifiquement aux finances de l’État. Soulignons qu’il n’existe étonnamment aucune série publique détaillée et homogène sur longue période du budget de l’État. Nous les avons donc reconstituées à partir de différentes archives, sans pour autant prétendre obtenir un résultat parfait – mais il est largement suffisant pour comprendre l’essentiel aujourd’hui.

La clochardisation mathématique de nos services publics

La comptabilité publique permet de distinguer deux grands types de dépenses publiques :

  • les transferts financiers, qui correspondent à une simple redistribution immédiate des impôts récoltés. Ce sont des espèces de « chèques » immédiatement signés par les administrations et distribués sans contrepartie directe. Ils correspondent par exemple aux dépenses de retraite, de remboursement de santé, de chômage, de subventions aux entreprises, d’aides au logement ou à l’énergie, etc. ;
  • les dépenses d’administration, qui correspondent aux dépenses de fonctionnement (paiement de fonctionnaires, achat de matériel…) et d’investissement (constructions de routes, d’hôpitaux…). Ce sont en fait plutôt à elles qu’on se réfère quand on pense à la notion de « dépenses publiques », « d’administration » voire de « bureaucratie ».

Les dépenses de l’État sont constituées aux deux tiers de transferts financiers, qui n’ont eu de cesse d’augmenter, essentiellement sous la forme de prestations sociales et de subventions : l’argent payé est reversé aux contribuables, qui en bénéficient soit immédiatement (remboursements médicaux, subvention aux entreprises, aides au logement, bouclier énergie…), soit de manière différée (retraite, chômage, invalidité…). Les dépenses d’administration, elles, ne cessent de diminuer depuis 35 ans : il ne faut pas chercher plus loin les raisons de la clochardisation de plus en plus avancée des services publics.

Dépenses des administrations et transferts financiers de l'État en France, 1980-2024Dépenses des administrations et transferts financiers de l'État en France, 1980-2024

Les services publics sacrifiés au profit d’aides colossales aux entreprises

Le néolibéralisme a transformé l’État en une vaste pompe aspirante et refoulante, accordant de plus en plus de soutien financier aux entreprises (lire notre article dédié à ce scandale de la hausse des subventions aux entreprises) et aux particuliers (souvent les plus aisés, par exemple avec la large diminution de l’impôt sur la fortune, le fameux ISF largement supprimé après 2017).

Cela apparaît nettement si on observe le détail des dépenses publiques (dont on a déduit les simples transferts aux administrations locales). La tendance à la baisse des dépenses de l’État entre 1993 et 2007 est manifeste, suivie d’une relative stabilité après la crise jusqu’en 2016. Les dépenses n’ont alors pratiquement pas cessé d’augmenter depuis l’élection d’Emmanuel Macron – mais les dépenses de personnel et d’investissement n’ont quant à elles fait que diminuer au fil des années.

Dépenses nettes de l'État en France, cumulés, 1950-2024Dépenses nettes de l'État en France, cumulés, 1950-2024

C’est le poste des subventions qui a explosé, depuis que Macron a été nommé ministre de l’Économie en 2014 : ces subventions, essentiellement aux entreprises, frôlent actuellement les 60 Md€ par an, ce qui représente environ 4 fois leur niveau de 2013. Cela représente aussi près de 45 % du total des salaires de tous les fonctionnaires d’État.

Dépenses nettes de l'État en France, courbes, 1950-2024Dépenses nettes de l'État en France, courbes, 1950-2024

Ces hausses massives de subventions n’ont généralement eu qu’une efficacité économique limitée. Elles ont certes joué un large rôle dans la baisse du chômage ; mais si le chômage a baissé quand les subventions sont arrivées, il risque fort de repartir à la hausse quand ces subventions vont cesser, faute de marges de manœuvre budgétaires.

Par ailleurs, si ces subventions sont bien identifiées dans le budget par la comptabilité nationale, elles ne correspondent qu’à une petite partie des aides publiques versées aux entreprises ; s’y ajoutent par exemple les larges réductions de charges sociales ou des crédits d’impôt. France Stratégie les a chiffrées à près de 153 Md€ en 2019 – sans même compter les 11 Md€ de participations et de prêts divers.

Les aides publiques aux entreprises en France en 2019

Une étude de l’université de Lille a chiffré leur évolution dans le temps. Elles représentaient environ 2,5 % du PIB en 1980 et ont peu augmenté jusqu’en 2005. Mais la crise de 2008 les a évidemment fait augmenter, avant de revenir à 4,5 % du PIB. Et depuis 2014, les politiques appliquées par Emmanuel Macron (d'abord au ministère de l’Économie, puis à l’Élysée) les ont propulsées à près de 6,5 % du PIB.

Aides publiques aux entreprises en France, en euros, 2000-2019Aides publiques aux entreprises en France, en euros, 2000-2019

Cela représente en 2019 le montant presque inimaginable de près de 160 Md€ !

Aides publiques aux entreprises en France, par rapport au PIB, 2000-2019Aides publiques aux entreprises en France, par rapport au PIB, 2000-2019

Il faut bien mesurer ce qu’a représenté cette hausse phénoménale de 4 points de PIB supplémentaires d’aides aux entreprises chaque année depuis l’an 2000 : c’est un soutien massif, qui n’a pas été financé par des impôts, mais essentiellement par de la dette. Et ce pour une utilisation qui ne permet aucune « amélioration » de notre économie, mais qui l’empêche simplement de passer en récession.

Il s’agit évidemment d’une très mauvaise gestion des deniers publics français, et d’une politique clairement non durable. Le macronisme est actuellement sous pression pour réduire les déficits monstrueux que sa gestion calamiteuse a créés – et il n’a pas le choix que de changer de politique. Les années à venir vont voir le déficit se réduire, mais probablement aussi l’activité économique que ce dernier soutenait.

Le macronisme a ainsi eu le même effet que la crise de 2008, sauf que rien ne justifiait ces politiques, mis à part la captation de l’État par le néolibéralisme pour le mettre au service des patrimoines, des actionnaires et des ménages les plus aisés.

Le problème, c'est que ces décisions ont par nature induit une forte hausse de certaines dépenses de l’État, alors que les gouvernements avaient fait de leur baisse le cœur de leurs discours politiques. En conséquence, pour ne pas trop augmenter le total des dépenses, les gouvernements ont délibérément choisi de couper dans leurs dépenses de fonctionnement et d’investissement, d’où la dégradation progressive de tous nos services publics.

Les dépenses au plus haut

Les cinq principales missions de l’État en 2023 concernaient la protection sociale (essentiellement sous la forme des compensations des allégements de charges sociales), l’enseignement, les interventions de soutien à l’économie et à l’emploi, le budget de fonctionnement et enfin l’énergie et les transports (en raison des différents boucliers énergétiques). 3 des 5 premières missions étaient donc largement consacrées à des aides publiques aux entreprises, LA véritable priorité de nos gouvernements actuels, contrairement aux beaux discours que tout le monde peut entendre.

Dépenses de l'État ventilées par fonction en 2023Dépenses de l'État ventilées par fonction en 2023

Depuis 2009, les budgets de la plupart des missions apparaissent relativement stables, à l’exception des intérêts de la dette publique qui ont nettement baissé en raison de la baisse des taux depuis 2012.

Dépenses de l'État ventilées par fonction, cumulés, 2009-2023Dépenses de l'État ventilées par fonction, cumulés, 2009-2023

Ceci a donné quelques marges de manœuvre qui ont été investies non pas dans la réduction de la dette, mais dans de nouvelles aides aux entreprises, en particulier dans les missions de soutien à l’économie.

Dépenses de l'État ventilées par fonction, courbes, 2009-2023Dépenses de l'État ventilées par fonction, courbes, 2009-2023

Les recettes au plus bas

C’est cependant au niveau des recettes que l’inconséquence macroniste de la gestion de l’État apparaît le mieux. Alors que le déficit n’a cessé d’augmenter, alors que la dette est devenue un problème de plus en plus inquiétant, les recettes de l’État n’ont pas cessé de diminuer, et en premier lieu les impôts sur la production payés par les entreprises. C’est un des cœurs de la politique d'Emmanuel Macron : baisser les impôts des plus riches et baisser les impôts des grandes entreprises, donc in fine des actionnaires.

Recettes nettes de l'État en France, cumulés, 1950-2024Recettes nettes de l'État en France, cumulés, 1950-2024

Alors que l’État levait encore l’équivalent de 18 % du PIB en impôts en 1985, il n’en lève plus que 12 % en 2024. Et ce alors que les dépenses n’ont guère diminué et qu'elles se situent à 19 % du PIB. Cette baisse historique de 5 points de PIB a été obtenue en diminuant les impôts sur la production, au grand bénéfice des entreprises.

Recettes nettes de l'État en France, courbes, 1950-2024Recettes nettes de l'État en France, courbes, 1950-2024

Rappelons cependant que ces fortes baisses d’impôts ne concernent que l’État : au global, les impôts ont bel et bien augmenté en raison des besoins de Sécurité sociale dus au vieillissement de la population (retraite en particulier). Mais pour éviter d’augmenter les impôts au rythme des besoins liés à la formidable hausse de l’espérance de vie, les dirigeants politiques ont choisi de déshabiller l’État pour habiller la Sécu. D’où les problèmes actuels des services publics.

Recettes des administrations publiques en France, 1960-2024Recettes des administrations publiques en France, 1960-2024

Un déficit incommensurable

Sur longue période, la baisse des recettes conjuguée à la stagnation voire la hausse des dépenses est manifeste. Conséquence logique de cette mauvaise gestion croissante, le budget de l’État n’est plus en équilibre depuis 1977.

Dépenses et recettes de l'État en France, 1960-2024Dépenses et recettes de l'État en France, 1960-2024

Le déficit n’a fait qu’augmenter de plus en plus, au rythme de la baisse des recettes et des crises majeures qui ont propulsé les dépenses et le déficit à des niveaux historiques.

Budget de l'État en France, 1995-2024Budget de l'État en France, 1995-2024

Après avoir atteint les 200 Md€ en 2020, le déficit atteint toujours les 150 Md€ aujourd'hui (2024). Pour situer, cela correspond au prix de 10 porte-avions. On peut aussi le comparer au fameux scandale des pertes du Crédit lyonnais dans les années 1990 : il avait perdu 15 Md€ à l'époque, soit le niveau du déficit de l’État pour un peu plus d'un mois de 2024…

Déficit de l'État en France, 1995-2024Déficit de l'État en France, 1995-2024

« Les 3 % de déficit » : une invention de la propagande gouvernementale française

On parle souvent du « critère de Maastricht sur la limitation du déficit à 3 % ». C’est en effet une des conditions pour faire partie de l’euro, dont on a tant parlé en 1992. Cette condition n’a pourtant presque jamais été respectée depuis 20 ans (4 fois seulement dont 3 dans les années 2000, et le record est à -2,1 %, ce qui ne permet évidemment pas de réduire l’endettement).

Il faut cependant bien comprendre que cette notion de « 3 % » est un élément de propagande visant à dissimuler les sommes énormes en jeu. « 3 % », c’est un tout petit chiffre après tout. Le souci, c'est qu’il se réfère au ratio entre le déficit de l’État et le PIB du pays, et nullement à un ratio de deux données concernant l’État, ce qui est trompeur. Un peu comme si vous vouliez rassurer votre banquier en lui disant qu’après tout, votre découvert ce mois-ci n’est que de 0,000 000 000 1 % du PIB…

Il est beaucoup plus logique de faire le ratio entre le déficit et les recettes de l’État pour bien apprécier la gestion calamiteuse de ce dernier. En effet, depuis 20 ans, le gouvernement dépense entre 120 € et 145 € à chaque fois qu’il encaisse 100 € d’impôt.

Déficit de l'État français en pourcentage des recettes nettes, 1960-2024Déficit de l'État français en pourcentage des recettes nettes, 1960-2024

Ceci implique donc que l’État doit emprunter tous les ans 20 à 45 € pour chaque levée de 100 € d’impôts (ce qui génère entre 0,6 et 1,4 € de plus à payer tous les ans en intérêts, soit 21 à 47 € cumulés rien qu’au bout de 35 ans au taux actuel !). Dit autrement, l’État s’engage un jour à lever ces 20 à 45 € d’impôts pour rembourser sa dette qu’il a créé en une année. Ce qui est évidemment impossible. Les prêteurs devraient donc avoir de moins en moins confiance, mais ils ne se rendent pas compte de la gravité de la situation.

Comme le rappelle le haut fonctionnaire Guy Abeille, c’est lui-même (et donc la France) qui a « inventé » ce « critère de 3 % » en 1982. Mais il ne répondait alors à aucune logique économique, c’était simplement un artifice de propagande pour ne plus discuter de la valeur du déficit en francs, car celui-ci allait dépasser pour la première fois les 100 milliards de francs, soit ce qui était à l’époque considéré comme « la dernière frontière que nous sommes capables de concevoir (autre qu'en temps de guerre) à l'aune des déficits d'où nous venons et qui ont forgé notre horizon ». 100 milliards de francs en 1982 représentent moins de 40 Md€ en 2023. Le déficit 2023 représente donc 4 fois le déficit inimaginable « hors temps de guerre » de 1982…

Comment stabiliser la dette ?

Dernier point sur le critère de 3 %. Ce n’est pas une mauvaise cible en soi. L'objectif était simplement de garder le ratio Dette/PIB constant. Pour cela, il faut que le niveau de déficit fasse que l’évolution en valeur de la dette soit égale à celle du PIB (pour plus de détails mathématiques, cliquez ici). Cependant, comme la dette atteint aujourd’hui 110 % du PIB, l’objectif des 3 % a lamentablement échoué. Mais pour une raison très simple : pour être efficace, ce critère doit être respecté en moyenne. Or, ce niveau de déficit est immédiatement devenu une cible annuelle. Mais si on est à 3 % quand tout va bien, il est évident qu’on sera à 5 ou 6 % quand tout ira mal, et que la moyenne sera bien supérieure à 3 %. Depuis 2017, la moyenne du déficit de l’État est de 4,6 % ; depuis 2010, c’est 4,4 %, et depuis 2000, 3,9 %. C’est la raison de l’échec à stabiliser la dette.

Actuellement, avec un ratio Dette/PIB de 110 %, une croissance de 1 % et une inflation de 2 %, le déficit de stabilisation est toujours proche de 3 %. Mais pour diminuer la dette, il faudrait avoir un déficit d’environ 2 % en moyenne, donc de 0 à 1 % les années sans grosse crise – comme actuellement. Pour mémoire, les prévisions font état de déficits de plus de 5 % en 2024 et 2025. Les finances de l’État ne sont donc clairement plus maitrisées.

Vous aussi, apprenez à élaborer des budgets calamiteux

Pour mieux comprendre les lourds problèmes de gestion des finances de l’État, il suffit d’observer le Budget 2025 qui a été voté imposé par 49-3 en décembre 2024. Il se résume assez simplement : 309 milliards de recettes, 448 milliards de dépenses, d’où un déficit (prévisionnel) de 139 milliards, soit 45 % des recettes. Ne tentez surtout pas ce genre de cascade financière avec propre budget mensuel !

Budget de l'État en France pour 2025Budget de l'État en France pour 2025

Mais il y a bien mieux lorsque l’on essaie de comprendre la façon dont ont été construits les budgets 2024 et 2025, à partir de prévisions… Mettons-nous pour cela à la place du Ministre des Finances à Bercy.

Pour mémoire, le budget initial 2024, voté donc fin 2023, aboutissait à un déficit prévu à 147 Md€. C’était un déficit gargantuesque, la crise de 2022 était finie, rien ne justifiait un tel niveau. Et 3 % du PIB 2024 représentait un déficit cible maximum de 80 Md€. Le gouvernement ciblait donc un déficit de près de 6 % du PIB, soit le double.

Budget de l'État en France pour 2024 et 2025Budget de l'État en France pour 2024 et 2025

Les recettes 2024 (qui dépendent de l’activité économique) ont été notablement meilleures qu’attendu (14 Md€ de plus !), surtout grâce aux taxes sur les produits : ce sont 14 Md€ de plus que prévu qui sont entrés dans les caisses de l’État.

Recettes fiscales nettes de l'Etat en France entre 2021 et 2025

Rappelons par ailleurs que la politique de Macron vise à enrichir sans cesse les grandes entreprises en augmentant leurs profits, ce qui augmente aussi les recettes de l’impôt sur les sociétés (dont Macron diminue pourtant régulièrement le taux). Ces 53 Md€ d’IS espérés en 2025 sont à comparer aux 28 Md€ de 2018 et 32 Md€ de 2019. Cette augmentation est manifeste si on représente, ce qui est rarement fait, l’évolution du bénéfice taxable des entreprises françaises.

Bénéfice taxable des entreprises en France, 2005-2023Bénéfice taxable des entreprises en France, 2005-2023

L’impact du macronisme est très clair : le bénéfice des entreprises atteint des niveaux inconnus depuis au moins plusieurs décennies, explosant le record de 2007 qui avait été le prélude à la crise de 2008. Cet indicateur est d’ailleurs sans doute prédictif de crise (les entreprises réalisent des profits trop importants pendant que la masse des salariés est contrainte de moins consommer et de s’endetter). En tout cas, on voit bien à qui profite la politique macroniste – et ce n’est clairement pas au pouvoir d’achat des salariés !

Si nous revenons au budget 2024, le montant total des impôts réellement perçus aurait donc dû naturellement conduire à 14 Md€ de déficit en moins, soit 133 Md€.

Mais, et c’est quasiment systématique, cette bonne surprise sur les recettes s’est immédiatement traduite par une augmentation des dépenses (qui ne dépendent que de décisions politiques), qui ont dépassé le montant voté par le Parlement de 23 Md€ - soit nettement plus que la « cagnotte » surprise des impôts supplémentaires.

Ainsi, le déficit de l’État, au lieu d’être inférieur au montant voté de 14 Md€, a donc été supérieur de 9 Md€. Ainsi vont les finances publiques…

De sérieux effets macro-économiques

Soulignons également que le profil « McKinsey » des gestionnaires actuels de Bercy est déjà néfaste dans les entreprises. On connait la figure du PDG « cost-killer », qui coupe dans toutes les dépenses possibles pour augmenter rapidement le résultat. C’est comme cela que les salariés se retrouvent moitié en télétravail et moitié en banlieue sans bureau fixe à essayer de faire tourner une entreprise sans investissements informatiques.

C’est évidemment mauvais à long terme pour l’entreprise, mais une telle gestion à courte vue est souvent saluée ; elle est portant à la portée de n’importe qui et de très mauvais augure, car elle hypothèque l’avenir. À court terme, cela fonctionne, et des profits supplémentaires sont bien générés, car le fait qu’une entreprise compresse ses dépenses n’a alors pratiquement aucun impact sur ses ventes – cela n’assèche évidemment pas la demande du pays entier.

Mais il n’en va pas de même de l’État, qui est un acteur majeur de l’économie française. S’il dépense moins (tout en prélevant au moins autant d’impôts), il va ralentir l’économie. C’est logique, puisqu’il est intervenu quand ça allait mal, justement pour booster l’économie en dépensant plus. Mais en retour, ce ralentissement économique va évidemment diminuer les recettes fiscales. Diminuer les dépenses, c’est toujours diminuer le PIB, quelle que soit la structure ; mais quand c’est l’État qui le fait fortement, l’impact s’en ressent toujours au niveau national.

Bref, il y a un net lien de dépense entre l’évolution du PIB et celle du budget de l’État, pour des raisons volontaires (politiques, pour soutenir l’économie) et involontaires (impact récessif d’une baisse des dépenses).

Déficit de l'État et croissance du PIB en France, 1980-2024Déficit de l'État et croissance du PIB en France, 1980-2024

On ne peut donc être que pantois quand, pour son budget 2024, le ministre des Finances, Thomas Cazenave expliquait sans tiquer qu’il allait diminuer de 4 % les dépenses en volume de l’État (soit 1 point de PIB), tout en s’attendant à percevoir 5 % de recettes en plus en volume. Et ça n’a pas loupé : ces recettes ne sont jamais rentrées :

« On a constaté en fin d'année, notamment dans les recettes fiscales, l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu, la TVA, une forte baisse. On a perdu en fin d'année près de 8 milliards d'euros de recettes. […] C'est difficile à prévoir, les recettes. »

Alors, certes, « c'est difficile à prévoir, les recettes », mais il est quand même plus facile d’imaginer qu’elles ne vont pas exploser alors que l’économie tourne au ralenti à cause de diminutions de dépenses publiques.

Recettes et dépenses nettes de l'État en France, 2017-2024Recettes et dépenses nettes de l'État en France, 2017-2024

Qui veut tuer son État l’accuse d'avoir la rage

Les néolibéraux appellent sans cesse à des réductions massives de dépenses publiques pour réduire le déficit, mais il faut bien comprendre que, comme ces dernières ne s’accompagnent évidemment pas de réductions de recettes équivalentes (dont on pourrait discuter des effets positifs si elles existaient) sinon le déficit ne se réduirait pas, cette politique n’a que des effets négatifs à court terme : 10 Md€ de dépenses publiques en moins, c’est pratiquement 10 Md€ de PIB en moins, et c’est tout, il n’y a aucun effet positif pour compenser.

Le gouvernement a retenu pour le budget une prévision de croissance de 1,1 % pour 2025. Elle est actuellement attendue à +0,6 %. Et ceci ne tient pas compte des milliards d’économies que va annoncer le gouvernement, qui représentent au minimum 0,5 point de PIB, soit autant de PIB en moins.

En général, lorsque le Gouvernement dispose d’estimations de croissance de 0,6 % à 1,0 %, il retient 1,0 %. C’est en fait une politique constante en France de bâtir les budgets avec les hypothèses les plus optimistes – hypothèses très rarement confirmées, comme on le voit année après année. On observe sur le graphe suivant que la croissance réelle (en rouge) est quasiment toujours inférieure aux prévisions du gouvernement (sans même parler des périodes de crise).

Prévisions de la croissance du PIB pour le Budget de l'État, 2000-2024-2028Prévisions de la croissance du PIB pour le Budget de l'État, 2000-2024-2028

En conséquence, les recettes sont quasiment toujours inférieures aux prévisions, et donc le déficit public est quasiment toujours supérieur aux prévisions du gouvernement.

Prévisions du déficit public pour le Budget de l'État, 2000-2024-2028Prévisions du déficit public pour le Budget de l'État, 2000-2024-2028

La France parmi les cancres budgétaires d’Europe

Comme Emmanuel Macron est un adorateur de l’Union européenne, il est assez logique de le juger à l’aune d’une simple comparaison des déficits en Europe. Il ressort qu’en 2024, la France se classe royalement à la 24e place sur 27, juste devant la Slovaquie, la Pologne et la Roumanie, 3 pays qui subissent beaucoup plus fortement le choc énergétique de la guerre d’Ukraine.

Solde budgétaire de l'État dans les pays de l'Union européenne en 2024Solde budgétaire de l'État dans les pays de l'Union européenne en 2024

Si on analyse depuis 2010 les finances de l’État des grands pays européens, la France fait pâle figure. L’Allemagne et les Pays-Bas ont une gestion vraiment saine (mais ces pays profitent largement de l’euro au détriment des pays du sud). La France est nettement derrière l’Espagne ou la Belgique et remporte certainement le bonnet d’âne de la gestion publique en Europe.

Solde budgétaire de l'État dans les pays de l'Union européenne, 2010-2024-2026Solde budgétaire de l'État dans les pays de l'Union européenne, 2010-2024-2026

En moyenne, l’Italie a certes fait un peu moins bien que la France (depuis 2019 seulement), mais elle a des circonstances atténuantes (économie pénalisée par l’euro, dette plus lourde, etc.).

Déficit moyen de l'État dans différents pays de l'Union EuropéenneDéficit moyen de l'État dans différents pays de l'Union Européenne

C’est ce résultat calamiteux de la gestion des finances publiques par Macron (dont il faut reconnaître qu’il a géré le pays comme il a géré son propre patrimoine…) qui explique que la Commission européenne surveille désormais de très près la France, et fasse pression pour une diminution du déficit. Hélas, ces pressions iront évidemment dans le sens d’une résolution néolibérale (démantèlement des services publics et politique antisociale) du problème, et non pas dans le sens d’une résolution d’intérêt général (diminution des aides indues aux entreprises désormais dénoncées par les sénateurs eux-mêmes, hausse des impôts des multinationales et des plus riches, etc.).

Ce qu’il faut retenir

Le macronisme, stade ultime du néolibéralisme, vise à rançonner l’État au bénéfice des grandes entreprises et des plus aisés. Cela s’est traduit par une explosion des aides publiques aux entreprises qui atteignent 160 Md€. À ce prix, on comprend mieux que le chômage ait un peu diminué.

Ce prix n’a d’ailleurs pas été payé, mais emprunté, car si les dépenses ont augmenté, les recettes ont diminué en raison des choix du gouvernement (suppression de l’impôt sur la fortune, baisse de l’impôt sur les sociétés, etc.).

Cette politique pose de nombreux problèmes, mais le principal est sans doute que la dette augmente de plus en plus, ce qui rend sa stabilisation toujours plus compliquée, puisque son évolution dépend cruellement du niveau de la croissance, de l’inflation et des taux d’intérêt. Les perspectives sur ces points sont moroses, et la gestion de l’État (et donc de l’économie du pays) va s’avérer périlleuse dans les 15 ans à venir. Nous la surveillerons donc de très près sur Élucid.

Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.

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